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NOMINATIONS & PROFILAGE DE POSTES
QUI A LE POUVOIR ?

1ère PARTIE - NOMINATIONS :
QUEL POUVOIR POUR LE CSM ?

S’il est un pouvoir essentiel dans une démocratie c’est bien celui de nommer les magistrats. Un pouvoir que l’exécutif a, de toute évidence, bien du mal à lâcher, refusant obstinément de le confier dans son intégralité au Conseil supérieur de la magistrature.

Il est vrai que perdre la main sur les nominations, ce serait renoncer au lien de dépendance dans lequel est maintenue à dessein l’autorité judiciaire, abandonner le pouvoir de promouvoir certains magistrats sur des critères n’ayant qu’un lointain rapport avec la compétence ou l’expérience, ne plus pouvoir « remercier » ceux qui ont « bien servi ». Et tant pis si, ce faisant, persiste dans l’opinion l’insupportable soupçon d’une justice sous influence, trop proche du pouvoir.

Aujourd’hui, 95 % des nominations sont toujours entre les mains du ministère de la Justice, et le CSM n’a de pouvoir de proposition que pour les plus hauts postes de la hiérarchie du siège. Le déroulement de l’essentiel de la carrière des magistrats dépend donc des choix effectués par le ministre de la Justice, le CSM ayant uniquement le pouvoir de donner un avis – conforme pour le seul siège – sur les projets de nomination.

Le Syndicat de la magistrature défend depuis longtemps des réformes statutaires possibles sans modification constitutionnelle, telles l’instauration d’un grade unique et la suppression du tableau d’avancement, afin de garantir à chaque magistrat une évolution indiciaire régulière et à l’abri des interventions potentiellement arbitraires de l’exécutif et/ou de sa hiérarchie.

La justice doit être indépendante et protégée des pressions et ingérences de l’exécutif sur les carrières des magistrats. Mais comment garantir cette indépendance dans les conditions actuelles lorsque l’immense majorité des nominations de magistrats, au siège comme au parquet, est proposée par le pouvoir exécutif, que le pouvoir du CSM se limite à émettre des avis sur ces propositions et alors que, de surcroît, les avis non-conformes ou défavorables se font de plus en plus rares, au point qu’ils avaient totalement disparu de la dernière transparence annuelle ? Ce dernier constat a d’ailleurs conduit le SM à interpeler le CSM pour comprendre pour quelles raisons il n’utilisait pas les faibles pouvoirs dont il dispose déjàpour contrôler l’exécutif dans la gestion de la carrière des magistrats.

La situation actuelle est totalement incompatible avec l’exigence d’indépendance et d’impartialité objective pesant sur l’autorité judiciaire. En attendant une hypothétique réforme constitutionnelle, c’est au CSM qu’il appartient de veiller à ce que les principes d’égalité et de non-discrimination soient strictement respectés par la DSJ pour permettre aux magistrats d’être nommés ou promus sur la base de critères exclusivement professionnels, et non, comme c’est encore trop souvent le cas , sur la base de critères opaques. C’est ce à quoi s’emploieront nos élus.

Pour plus de transparence, notre élu au CSM dans la formation siège a obtenu depuis 2015, malgré l’opposition de certains membres magistrats, que les décisions d’avis non conformes soient motivées et adressées au magistrat concerné. Vos représentants devront encore se battre pour que ces motivations soient davantage développées, tout en respectant la confidentialité du dossier des autres candidats.

Nos élus ont soutenu que des auditions des candidats à certains postes relevant du pouvoir de proposition du ou de la garde des Sceaux puissent être réalisées par le CSM (premiers présidents de chambre, premier avocat général). Il a depuis été procédé plus systématiquement à l’audition des observants sur les postes de chefs de juridiction.

Le CSM-siège avait décidé de ne pas réentendre les candidats déjà auditionnés sur de précédentes candidatures. Nos élus se sont attachés à revenir à une audition de tous, afin d’éviter les ruptures d’égalité.

Nos élus ont été moteurs, comme lors des précédentes mandatures, en ce qui concerne l’accès des femmes aux postes de la hiérarchie, par la prise en compte des causes de leur moindre mobilité. La logique de la filiarisation des postes de chefs de juridiction est en effet de facto défavorable aux femmes. Elle consiste à considérer qu’il faut d’abord être chef d’une petite juridiction puis d’une moyenne puis d’une plus grande etc. Ne pas prendre en considération d’autres expériences des magistrats qui pourraient les rendre d’emblée légitimes à prétendre à des postes de chef de moyennes ou grandes juridictions implique de devoir demander ces postes relativement tôt dans la carrière, à une période où les femmes le plus majoritairement peuvent consacrer du temps à l’éducation de leurs enfants ou à tout le moins faire le choix d’être moins mobiles géographiquement.

Beaucoup reste à faire pour mettre fin à l’opacité des mouvements et assurer l’égalité de traitement entre les magistrats. En l’état des prérogatives du CSM, des marges de progression existent dans les pratiques, telles :

  • l’envoi d’un avis à chaque observant, en lui précisant, en cas d’avis non conforme, si ses observations en ont été à l’origine, et en cas d’avis conforme, le type de raisons pour lesquelles elles n’ont pas été retenues,
  • la définition, par un dialogue avec la DSJ, du type de poste pour lesquels une fiche de poste avec appel à candidature pourrait être établie, en les limitant à des postes très spécifiques,
  • l’élargissement du périmètre des auditions des candidats à tous les cas dans lesquels le CSM est très partagé, à tous les postes profilés et lorsque, même en l’absence d’observants, le CSM envisage de rendre un avis négatif,
  • l’ouverture d’un débat sur les pratiques de déport au sein du CSM, questionnement que nous avons suscité en dénonçant la nomination à un poste de chef de juridiction d’un membre du secrétariat général du CSM et poursuivi par notre élu,
  • une politique plus ambitieuse pour l’égalité professionnelle femmes-hommes pour sortir de la logique de filiarisation,
  • la rédaction, dans le rapport annuel du CSM, d’une partie spécifique résumant de manière anonymisée les avis négatifs rendus en matière de nomination et les avis aux observants.

Si le CSM peut faire évoluer ses pratiques, une réforme statutaire est indispensable pour clarifier le processus de nomination des magistrats et le rendre moins dépendant de la hiérarchie judiciaire et du pouvoir exécutif.

IL Y A URGENCE !

2ème PARTIE - PROFILAGE ET FILIARISATION DES POSTES :
DE QUOI PARLE-T-ON ?

1. Un grand impensé de la politique des ressources humaines de la DSJ

En octobre 2017, la DSJ a mis en oeuvre une nouvelle politique de gestion des ressources humaines : la diffusion de fiches de postes corrélée à l’obligation pour les magistrats de faire acte de candidature, pour tous les postes susceptibles d’être vacants.

Le Syndicat de la magistrature a été dès l’origine réservé sur cette pratique intervenue dans la précipitation et la confusion puis en a dénoncé les dérives auprès des collègues et de la DSJ, obtenant un recul de l’extension de ces appels à candidature (fin 2017, les appels à candidatures portaient sur 140 postes !).

Le SM a également alerté le CSM sur cette nouvelle politique et son rapport annuel 2017 consacre un focus à la question du profilage des postes, son analyse rejoignant en partie nos préoccupations. Le rôle du CSM est donc très important pour venir impulser une politique de ressources humaines prenant en compte les souhaits des magistrats et les besoins des juridictions tout en étant respectueuse de l’égalité entre les magistrats, des principes du juge naturel et de l’indépendance de la justice.

2. Spécialisation et polyvalence

La question du profilage des postes est très en lien avec celle de la spécialisation et de la polyvalence dans le parcours des magistrats.

La spécialisation, acquise lorsqu’on exerce des fonctions spécifiques un certain temps, est inhérente au métier de magistrat: il existe des fonctions spécialisées statutaires mais le Syndicat de la magistrature réclame que d’autres fonctions le deviennent, telles celles de président de l’audience correctionnelle, juge aux affaires familiales ou président de cour d’assises. Ces évolutions, que nous souhaitons corrélées avec un pouvoir de nomination entièrement confié au CSM et une formation spécifique, constituent des garanties pour l’inamovibilité des magistrats.

Toutefois, la mobilité fonctionnelle reste essentielle. Le fait de favoriser une stabilité dans les fonctions doit s’équilibrer avec la possibilité d’évoluer et d’en changer, ce qui correspond à une richesse pour le magistrat et pour l’institution.

Une politique d’appels à candidature généralisés induit que la DSJ puisse faire prévaloir des critères qui se superposent aux critères traditionnels de l’ancienneté et de la qualité du dossier, tel l’exercice de fonctions similaires.

Si ce dernier critère est recevable concernant certains postes dont la technicité est très pointue,généraliser le profilage avec appel à candidature n’aurait pas de sens : l’appel à candidature pour un poste de juge aux affaires familiales à Béthune - qui faisait partie des postes profilés pour un précédent mouvement à l’époque de la mise en place de cette pratique, permettrait ainsi à qualité de dossier comparable de retenir un magistrat moins ancien qu’un autre candidat au parcours polyvalent, sous le prétexte qu’il aurait déjà exercé les attributions de juge aux affaires familiales.

Ce procédé risque de donner l’impression de promouvoir un « modèle » de magistrats, le magistrat expert, ou le magistrat « manager », obligeant les collègues à s’enfermer dans des filières pour obtenir des postes. Une telle situation ouvre en réalité la voie à l’arbitraire le plus total, au sens où la DSJ peut faire prévaloir, sans aucune lisibilité pour les magistrats, un critère ou un autre pour retenir un candidat.

En outre, l’articulation entre ces critères n’a fait l’objet d’aucun travail préalable de la DSJ avec le CSM, qui a découvert comme nous cette nouvelle politique. Le CSM a ainsi imposé, pour pouvoir jouer son rôle, que la DSJ lui communique la liste des magistrats ayant répondu aux appels à candidature.

3. Le risque d'une magistrature à deux vitesses

La réduction de la voilure des appels à candidature laisse toutefois la voie à la mise en exergue de certains types de contentieux « nobles » qui justifient une spécialisation des magistrats aux yeux de la chancellerie. La spécialisation des JCP dans le mode de traitement particulier des contentieux « du quotidien », a en revanche peu de prix. Il en résulterait une magistrature à deux vitesses entre les magistrats occupant des postes profilés nécessitant des compétences juridiques spécifiques ou managériales et les autres.

Le Syndicat de la magistrature s’oppose résolument à ce que ces derniers soient considérés comme un tiers état de la magistrature, chargés des « contentieux du quotidien ».

4. Une politique qui heurte l’articulation actuelle entre les compétences respectives du CSM, du président du tribunal et des assemblées générales des juridictions pour la répartition des postes et des services entre les magistrats

Une fois les nominations de magistrats sur des postes « à profil » validées par le CSM, il appartient aux assemblées générales, conformément au COJ, de rendre leur avis sur l’affectation des magistrats de la juridiction dans les services. Seulement, cet avis pourra être contradictoire avec l’avis rendu par le CSM, qui se sera prononcé en considération de l’adéquation du profil du candidat avec le poste profilé. Si le magistrat rejoint finalement un autre service que celui initialement prévu, la portée de l’avis favorable ou conforme du CSM est réduite à néant, et les autres candidats auront pu être écartés à mauvais escient. Si l’assemblée générale n’a d’autre choix que de suivre l’avis du CSM, c’est son propre avis qui est réduit à néant. Dans tous les cas, rien n’interdit à un chef de juridiction de défaire ce qui a, en amont, été validé par le CSM.

La diffusion généralisée de fiches de poste pour tous les postes « susceptibles d’être vacants » assortie d’appels à candidature n’est donc pas une pratique conforme au respect des attributions respectives des chefs de juridiction, des assemblées générales des juridictions et du CSM.

5. Indépendance de la justice, équité entre les magistrats et juge naturel : des perspectives qui s’éloignent ?

Cette nouvelle politique de gestion des ressources humaines ouvre également la voix à des pratiques qui éloignent encore notre système judiciaire du principe du juge naturel. En effet, elle ouvre la possibilité pour un chef de juridiction de rédiger, pour n’importe quel poste y compris actuellement pourvu, une fiche de poste sur mesure pour « recruter » un magistrat qu’il souhaite faire venir, au détriment du principe d’égalité entre les magistrats dans le processus de nomination.

La visibilité donnée à la DSJ par le président de la juridiction au travers de ces fiches de poste est tout autant problématique, puisqu’elle renseigne la DSJ sur les dossiers – parfois sensibles – qu’aura à juger le magistrat nommé pour le poste.

NOS PROPOSITIONS
Pour une politique de gestion des ressources humaines rénovée

La meilleure prise en compte des souhaits des magistrats et des besoins des juridictions peut être recherchée par la rédaction de fiches de poste pour mieux informer les magistrats, sans appel à candidature et sans que cela ne constitue un engagement à obtenir le poste. La création de fonctions statutaires telles celles de juge aux affaires familiales, président de tribunal correctionnel et président de la cour d’assises permettrait également aux candidats de savoir plus précisément quelles fonctions ils seront amenés à exercer lorsqu’ils expriment des desiderata.

Les appels à candidature sur des postes profilés ne devraient ainsi concerner qu’un nombre de postes très restreints comportant une technicité particulière. Ainsi ramenés à de justes proportions, le nombre restreint de postes concernés permettrait aux chefs de juridiction de procéder aux nécessaires consultations en interne à la juridiction avant de rédiger une fiche de poste.

Nos élus au CSM défendront cet équilibre lors de la prochaine mandature. Ils soutiendront que puisse être défini, par un dialogue du CSM avec la DSJ, le type de poste pour lequel un appel à candidature pourrait être établi. Ils s’attacheront à ce que les candidats sur ces postes soient entendus par le CSM.

Cela n’élude pas la question plus globale des critères appliqués par la DSJ lors de l’élaboration des transparences, qui sont devenus de plus en plus illisibles. Le CSM devra jouer son rôle pour contribuer à façonner ces critères et à les rendre plus transparents.

Par ailleurs, depuis le développement des appels à candidature, le Syndicat de la magistrature écrit régulièrement au DSJ après certaines transparences, pour faire part de nos interrogations sur l’usage toujours peu transparent du profilage des postes. En effet, la DSJ a pu pourvoir certains postes ayant fait l’objet d’un appel à candidature sans finalement les considérer comme profilés sur le projet de nomination.

Exception faire des quelques appels à candidature « compétences particulières », la diffusion des profils de poste doit se limiter à une simple information des magistrats sur les postes susceptibles d’être vacants.

Si nous pouvons saluer la volonté du Conseil supérieur de la magistrature de restreindre la liste des postes pouvant faire l’objet d’appels à candidatures pour compétences particulières par rapport à ce qui était pratiqué par la DSJ, notamment en excluant des postes comme celui de simple conseiller chargé du contentieux social et de la sécurité sociale, le SM considère que la liste retenue est encore trop étendue.

En effet, il nous apparaît surprenant que l’intégralité des postes de premier vice-président hors hiérarchie des juridictions de groupe 1 fasse l’objet d’un profilage, ceci conduisant à profiler des postes comme celui de responsable du service général de l’instruction sur une transparence, alors qu’aucune compétence particulière ne nous semble requise. Au parquet, il semble anormal que seul le critère du contentieux traité soit utilisé pour profiler les postes, sans aucune distinction selon le type de juridiction (cour d’appel ou tribunal judiciaire), la position hiérarchique ni même le grade (des postes de substitut pourraient selon cette liste faire l’objet d’un profil de poste). En outre, la liste ne nous paraît pas suffisamment précise pour certains aspects comme « la matière économique et financière », et les « juridictions littorales ».

Par ailleurs, il existe des incohérences entre la liste définie pour le siège et celle définie pour le parquet, le contentieux JIRS faisant l’objet d’un profil mais pas au siège, de même que la notion de « juridiction littorale ». Inversement, plusieurs contentieux profilés au siège (comme la « criminalité organisée » ou encore les « crimes contre l’humanité ») ne le sont pas au parquet.

Enfin, nous observons un relatif déséquilibre entre les postes profilés en matière pénale et ceux profilés en matière civile, ces derniers paraissant moins nombreux.

Pour toutes ces raisons, les élus du Syndicat de la magistrature resteront particulièrement vigilants pour prévenir les dérives de la pratique du profilage de postes.