Alors que le ministère public est confronté à une crise profonde et durable, par la fragilité de son statut, les mutations de son rôle et l’indigence de ses conditions d’exercice, le Syndicat de la magistrature défend une conception exigeante d’un parquet qui doit pouvoir assumer pleinement ses missions et rester gardien de la liberté individuelle.
Aux termes de l’article 66 de la Constitution, l’autorité judiciaire est instituée gardienne de la liberté individuelle. Si le contrôle effectif d’un magistrat du siège est une nécessité incontournable en dernier ressort, le parquet assure, au quotidien, l’indispensable premier filet de protection de cette liberté et garantit le respect des droits fondamentaux des personnes faisant l’objet d’une procédure pénale.
Face à des courants favorables à une scission de la magistrature, et face, encore davantage, à la préfectoralisation du parquet que l’exécutif considère comme un service travaillant pour un continuum de sécurité au profit duquel police et justice ont des missions qui s’hybrident de plus en plus, le Syndicat de la magistrature défend fermement l’unité du corps et exige de meilleures garanties d’indépendance pour le parquet. Il revendique une magistrature de plein exercice au ministère public, passant par la réaffirmation de sa mission constitutionnelle, seule à même de dépasser les contradictions et vulnérabilités d’un parquet aujourd’hui écartelé entre la diversité de ses missions et les conditions – statutaires, procédurales et matérielles – dégradées dans lesquelles il les exerce.
Entendu par le comité Sauvé sur les états généraux de la justice, le Syndicat de la magistrature a demandé, une nouvelle fois, une réforme des conditions de nomination et d’exercice du pouvoir disciplinaire bien plus ambitieuse que le projet de loi constitutionnelle minimaliste déposé en mai 2018 et finalement retiré en août 2019. Etait-ce déjà donner trop d’indépendance, et donc de pouvoirs, aux procureurs que de garantir des nominations à l’abri des choix de l’exécutif ? Était-il à ce point effrayant pour un garde des Sceaux de se voir retirer l’arme disciplinaire ? La suite nous prouva que oui, hélas...
L’indispensable réforme constitutionnelle – dont la probabilité qu’elle soit remise sur la table après son abandon en 2019 s’amenuise chaque année – ne doit pas faire illusion et laisser penser que les enjeux relatifs au statut des magistrats du parquet se limitent aux conditions de leur nomination et à la procédure disciplinaire dont ils relèvent. Le magistrat du parquet doit être protégé d’une conception trop souvent infantilisante du rapport hiérarchique. S’il est admis qu’il doit respecter la politique pénale définie par le gouvernement et adaptée localement par son chef de parquet, aucune règle ne justifie la pratique fréquente d’un pouvoir hiérarchique qui ampute le pouvoir de décision propre du substitut placé sous son autorité. En effet, au terme de la jurisprudence de la Cour de cassation, le substitut « puise de sa seule qualité, en dehors de toute délégation de pouvoir, le droit d’accomplir tous les actes rentrant dans l’exercice de l’action publique » (Crim, 3/7/1990, pourvoi n° 90-82418) et est donc autonome dans sa prise de décision dans les dossiers qui lui sont soumis, sous la seule réserve du respect de la légalité et de la politique pénale. L’obligation de loyauté, qui impose au substitut de rendre compte à son procureur de son action – et notamment de la conduite d’une enquête sur une affaire signalée – et lui interdit de prendre des décisions qui seraient contraires aux directives générales de politique pénale, n’est pas une tutelle du procureur sur ses substituts.
Le Syndicat de la magistrature revendique la consécration de ce principe d’autonomie de décision dans le statut ainsi que la mise en place d’une ordonnance formalisée d’attribution des services et des dossiers entre magistrats, adoptée sur avis conforme de l’assemblée générale, afin de garantir qu’un procureur ne puisse pas dessaisir arbitrairement un substitut d’un contentieux ou d’une procédure.
Le Syndicat de la magistrature demande également la fin des rapports sur les dossiers individuels signalés, dépourvus de toute utilité dans un système qui prohibe désormais les instructions individuelles. La remontée d’informations devrait se limiter à des rapports généraux permettant d’évaluer l’application de la politique pénale, sur le modèle du rapport annuel du ministère public.
Le Syndicat de la magistrature soutient régulièrement des collègues du parquet en proie à des situations qui constituent des abus de pouvoir de la part de leur procureur. Réprimandes sur des réquisitions à l’audience, décisions prises au TTR rapportées à la demande du directeur départemental de la sécurité publique, pressions exercées sur de jeunes collègues du siège, certains procureurs confondent pouvoir hiérarchique et tutelle professionnelle voire toute puissance.
De plus, à l’heure où l’exécutif tend à judiciariser des questions ne relevant pas de l’autorité judiciaire – tel le maintien de l’ordre – et s’efforce, via les directeurs départementaux de sécurité publique et les Préfets, d’inféoder les parquets au seul service de la sécurité publique (lutte contre les rodéos urbains, lutte contre les rassemblements dans les hall d’immeubles, lutte contre les intrusions en établissements scolaires, etc.), l’institution judiciaire a plus que jamais besoin de procureurs assumant pleinement leur rôle et incarnant une autorité judiciaire indépendante, en charge de déterminer la politique pénale dans un ressort.
Au CSM, qui propose toutes les nominations de procureurs, le Syndicat de la magistrature n’a pas d’élu depuis 4 ans pour faire valoir sa conception exigeante du rôle de procureur ainsi que de la hiérarchie intermédiaire du parquet. Si vous les élisez, nos représentants s’attacheront à favoriser la nomination de procureurs et procureurs généraux respectueux de l’autonomie de décision des magistrats du parquet et porteurs d’une saine pratique du rapport hiérarchique.
Sur le plan disciplinaire, nos représentants s’attacheront à ce que la réalité de la relation hiérarchique et ses dévoiements possibles soient toujours pris en compte dans l’appréciation des situations individuelles. Ils n’oublieront pas que devant le CSM, chaque cas individuel est potentiellement porteur d’enjeux pour l’ensemble de la profession, a fortiori dans un contexte où les atteintes à l’indépendance de la justice de la part de l’exécutif se multiplient et n’indignent plus.
Du fait de l’insuffisance de moyens et de modes d’organisation inadaptés, le magistrat du parquet est soumis à des flux auxquels il n’est pas en mesure de faire face en maintenant un traitement de qualité satisfaisante. Constamment confronté à la nécessité de choisir entre «mal-traiter» les procédures ou être submergé par elles, il est contraint d’opérer des choix qui se traduisent par l’exercice de ses fonctions en « mode dégradé » et le conduisent à se sentir responsable, voire à être considéré comme responsable, d’une situation sur laquelle il n’a qu’une prise réduite. Ces difficultés qui touchent également les fonctions du siège atteignent au parquet une intensité élevée. Le Syndicat de la magistrature est mobilisé depuis des années pour l’amélioration des conditions de travail au parquet. Actif au sein des travaux menés par la DSJ sur les référentiels métiers, il revendique la prise en considération de nombreuses missions du parquet aujourd’hui sous-évaluées et la mise à niveau des effectifs parquetiers dans les juridictions. Il s’agit notamment de faire reconnaître la place du parquet dans la justice des mineurs, la justice commerciale ou la justice civile, autant de missions éminemment importantes mais que les parquetiers ne peuvent investir, totalement happés par l’activité pénale qui ne cesse de croître.
Outre le renfort des moyens humains et matériels des parquets et une meilleure prise en compte des sujétions liées aux permanences de nuit et de week-end, le Syndicat de la magistrature revendique également un rattachement fonctionnel de la police judiciaire au ministère de la Justice qui permettra de sanctuariser les effectifs et les moyens d’une filière d’investigation, afin de rendre effectif le rôle des magistrats du parquet dans la conduite d’une enquête.
Il demande aussi une révision de la doctrine d’emploi du TTR, dont l’extension irréfléchie et l’emballement sont les facteurs d’une justice de mauvaise qualité, d’un contrôle insuffisant sur les enquêtes et de conditions de travail dégradées.
Si ces revendications s’adressent avant tout à la chancellerie et au législateur, nos représentants au CSM porteront au sein de la formation parquet une voix lucide sur les conditions actuelles de l’exercice des fonctions du ministère public et exigeante sur les solutions nécessaires.
Ils s’efforceront également de favoriser les nominations sur les postes de hiérarchie de candidats conscients des contraintes spécifiques rencontrées dans l’exercice du ministère public de terrain, et porteurs de perspectives autres que l’impasse de l’exacerbation tayloriste d’un mode dégradé.
Depuis plusieurs années, les conférences des procureurs de la République (CNPR) et des procureurs généraux (CNPG) prennent la parole dans le débat public pour faire connaître la position des chefs de parquets sur des questions émergentes ou des sujets d’actualité. Derniers exemples en date : la jurisprudence de la Cour de cassation sur la collecte et la conservation des données de connexion – rappelant une énième fois les fragilités de notre procédurale pénale – ou encore le projet de réforme de la police judiciaire tendant à sa départementalisation.
Ces conférences défendent généralement des positions frileuses, n’osant jamais s’affranchir complètement de ce que le ministère attend d’elles et refusant de faire le constat d’une alternative unique pour le ministère public : devenir un parquet réellement indépendant et conserver des pouvoirs dans la procédure pénale ou rester un parquet soumis à l’exécutif et perdre inexorablement ses prérogatives de gardien de la liberté individuelle, donc de magistrat, qu’il est de moins en moins en mesure d’assumer. Les positions timorées prises par les conférences des PR et PG, voire critiques à l’égard de décisions juridictionnelles protectrices des droits, au travers desquelles ils estiment leur identité menacée, ne représentent pas celles de tous leurs collègues parquetiers (qui sont un peu plus de 2 000). Le Syndicat de la magistrature veut faire entendre la voix d’un autre parquet, qui revendique son indépendance, veut pleinement assumer ses missions et incarner au quotidien une véritable séparation des pouvoirs en contrôlant le travail des enquêteurs et en garantissant le respect des droits des personnes.
Un procureur qui rejoint un cabinet ministériel a-t-il l’assurance d’être récompensé pour ses bons et loyaux services, par exemple par sa nomination comme procureur d’un plus gros parquet que celui qu’il dirigeait auparavant ?
La question mérite d’être posée tant l’existence de cette pratique a pu être constatée à de multiples reprises, suscitant d’un côté les vaines protestations de ceux qui sont exclus de ce marché des happy few ayant côtoyé l’exécutif, de l’autre la tacite approbation – parfois mâtinée de gêne – de ceux qui en ont bénéficié par le passé et peuvent difficilement dénoncer les risques pour l’indépendance de la justice d’un système dont ils profitent largement, sans que le CSM n’y trouve grand chose à redire.
Si le Syndicat de la magistrature défend la nécessité que des magistrats occupent des places au sein des cabinets ministériels ou de la haute administration, il dénonce un système de récompenses qui inféode certains chefs de juridictions à l’exécutif auquel ils doivent leur ascension de carrière fulgurante.